Pascal Deguilhem, Régis Juanico, votre rapport interpelle directement les professeurs des écoles quand il pointe qu’ils n’effectuent en moyenne que 2 h 15 d’EPS au lieu des trois heures hebdomadaires prévues dans les programmes. Avez-vous identifié les causes de ce déficit dont pâtissent les élèves ?
Pascal Deguilhem : Si le volume horaire officiel d’éducation physique et sportive n’est pas respecté à l’école, cela est peut-être dû à des réticences, mais aussi à des obstacles qu’il convient de lever. Le premier concerne les équipements : comment faire de l’EPS dans mon école ? Ensuite, suis-je suffisamment formé à l’enseignement d’une discipline qui, rappelons-le, est la troisième en termes de volume horaire ? Cela renvoie au contenu des formations dispensées dans les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (Éspé). Enfin, une troisième difficulté réside souvent dans le fait de devoir appréhender ce champ disciplinaire en le croisant avec des activités sportives qui ne sont pas le propre du secteur éducatif. Ces questions sont au cœur de l’enjeu de la réappropriation du temps dédié à l’éducation physique et sportive dans les écoles.
Vous pointez en effet le manque d’équipements de proximité et la faiblesse de la formation initiale des enseignants, l’EPS apparaissant comme le « parent pauvre » du master dédié aux métiers de l’enseignement. Mais le problème ne réside-t-il pas aussi dans le désengagement de l’Éducation nationale, qui semble considérer sans l’avouer que les activités périscolaires à caractère sportif proposées depuis la réforme des rythmes compenseront ce manque d’activité physique ?
Régis Juanico : Nous avons la chance de toucher en France, à travers l’EPS obligatoire, 12 millions d’élèves de l’école au lycée. Comme l’a souligné Pascal, l’EPS représente le troisième volume horaire à l’école derrière le français et les mathématiques, soit 108 heures par an. Notre toute première recommandation est donc de respecter ce volume horaire. L’EPS est un apprentissage fondamental : c’est ce que nous répétons à travers l’objectif du renforcement du dispositif national « J’apprends à nager », afin d’amener 100% d’une classe d’âge à savoir nager, ou en insistant sur l’enjeu de la formation dans les Éspé. Mais il s’agit aussi de trouver une meilleure articulation entre l’EPS et la pratique volontaire à l’école (le sport scolaire), les activités périscolaires (qui pour 30% d’entre elles sont physiques et sportives) et la pratique extrascolaire au sein des clubs. C’est pourquoi nous préconisons aussi la création d’une instance de concertation entre tous les acteurs concernés par les activités physiques et sportives dès le plus jeune âge. À l’échelon d’un collège par exemple, ce « Conseil local des activités physiques et sportives » permettrait aux acteurs éducatifs, au milieu associatif et aux collectivités locales de discuter des équipements, des projets éducatifs de territoire (PEdT) et de coordonner l’offre d’activités physiques et sportives sur celui-ci.
La question des horaires d’EPS pose en creux celle du capital-santé des enfants et des menaces que la sédentarité fait peser sur les adultes qu’ils seront. Or moins d’un enfant sur deux respecte les 60 minutes d’activité physique quotidienne recommandées. Un cardiologue cité dans votre rapport explique aussi qu’en 40 ans les collégiens ont perdu un quart de leur capacité physique : ils courent moins vite, moins longtemps. En quoi le sport scolaire peut-il aider à renverser cette tendance de fond ?
PD : Il le peut, pour partie, car la pratique physique et sportive tout au long de la vie peut changer la donne, en particulier si elle est encouragée dès le plus jeune âge. Vous parliez des capacités cardiovasculaires : on constate aussi l’affaiblissement des capacités musculo-squelettiques, et ces phénomènes peuvent être mis en rapport avec la société des écrans. Le rapport propose de répondre à ce problème de santé publiques sans solliciter de moyens nouveaux – ou très peu – mais à travers une attention portée aux équipements, à la formation et à la complémentarité des pratiques. C’est pourquoi nous insistons tant sur la « continuité » de celles-ci. Comment éviter les ruptures constatées à l’adolescence puis à l’entrée dans l’âge adulte, en particulier chez les filles et dans les quartiers défavorisés ? Il faut favoriser la cohérence et sortir de la concurrence. La finalité n’est pas l’existence en soi du club de foot ou de basket, mais que tout individu puisse bénéficier d’une pratique sportive et que celle-ci s’inscrive dans un parcours, dans la durée. Et ce dès le plus jeune âge, notamment à travers le sport scolaire.
RJ : Nous sommes confrontés au défi d’un mode de vie sédentaire qui combine une alimentation trop riche, la culture des écrans et la diminution du temps d’activité physiques. C’est pourquoi on observe chez les plus jeunes ces phénomènes de surpoids, d’obésité et de diminution des capacités physiques. Le sport scolaire est une modalité qu’il s’agit d’articuler avec l’EPS obligatoire et la pratique en club. Car plus une activité physique est pratiquée régulièrement dès le plus jeune âge, plus elle le sera tout au long de la vie. C’est un habitus de santé. D’où la nécessité de « mettre le paquet » dès le plus jeune âge.
PD : Je veux insister sur un point : l’objet du rapport ne se limite pas aux activités codifiées mais englobe aussi le fait de jouer, de remuer. Or ce qui retient parfois les enseignants de faire pratiquer davantage d’activité physique à l’école, c’est que l’on a enfermé celle-ci dans un champ sémantique trop étroit, en référence aux sports. Or si l’activité codifiée a sa place, elle n’est pas exclusive. Justement, vous appelez de vos vœux le lancement d’un grand programme d’aménagement des écoles pour favoriser la mixité des jeux et le développement de la motricité…
RJ : On sait que l’éloignement des équipements sportifs est l’une des causes du non respect du volume horaire de l’EPS. Si ceux-ci sont présents dans l’école c’est mieux ! Et plus encore s’ils favorisent des jeux et des pratiques sportives réunissant filles et garçons. L’idée est aussi de mettre à profit tous les moments de la journée – récréation et coupures, activités périscolaires – pour favoriser l’activité physique. J’y ajouterai les mobilités actives : permettre de venir à l’école à pied ou à vélo, avec des voies cyclables et des circuits pédestres sécurisés.
Concernant l’Usep, la préconisation la plus forte, la plus emblématique de votre rapport est de rendre obligatoire la création d’une association dans chaque école. L’Usep ne demande évidemment pas mieux. Mais est-ce réalisable, sachant qu’à la différence de l’UNSS, animée par les professeurs d’EPS sur leur temps de travail, l’Usep repose sur le volontariat et le bénévolat ?
PD : Il s’agit d’une proposition ouverte : nous avons bien conscience que le fossé est large, tout comme nous pensons qu’on ne pourra pas le réduire en s’appuyant uniquement sur l’engagement bénévole. On peut aussi discuter de l’échelle territoriale de référence : pas forcément l’école mais plutôt un réseau d’écoles, correspondant éventuellement au bassin de population d’un collège. En tout cas, il faudra accompagner et soutenir ceux qui s’engagent aujourd’hui bénévolement à l’Usep en leur proposant, outre davantage de formation, une rémunération horaire : c’est ce que nous proposons en réalité. Ce que traduit cette préconisation, c’est la nécessité que, sur un bassin de vie, l’ensemble des écoles puissent être représentées par une association sportive scolaire, par exemple à travers un enseignant référent qui mobiliserait les autres professeurs des écoles. On peut imaginer également différents modèles selon qu’on se situe en milieu urbain ou en milieu rural. Nous avons voulu symboliquement poser le cadre d’une AS par école, par symétrie avec l’UNSS, tout en ayant bien conscience que c’est un objectif difficile à atteindre aujourd’hui.
RJ : L’Usep n’est présente que dans 30% des écoles alors que les AS sont obligatoires dans les collèges : il faut réduire cet écart entre le premier et le second degré. En outre, avec la réforme des rythmes l’Usep a perdu à travers le mercredi matin un créneau important pour organiser des activités sportives. Or nous souhaitons remettre les acteurs de l’Usep au centre du projet pédagogique de l’EPS et, plus largement, des activités physiques dans l’école. À l’appui de cela, les professeurs des écoles passés par la filière Staps peuvent devenir des personnes ressources. Les animateurs Usep doivent également pouvoir intervenir davantage dans les temps d’activités périscolaires qu’ils ne le font aujourd’hui, en particulier dans les territoires ruraux. Pour nous, l’Usep doit être au centre d’un projet qui englobe à la fois l’EPS, le sport scolaire et les activités périscolaires.
PD : Alors que l’école est aujourd’hui assaillie d’impératifs et d’injonctions, la création d’une AS Usep pourra apparaître comme un projet supplémentaire à devoir mettre en œuvre… Mais, à travers l’Usep, on est sur un objectif transversal qui dépasse la rencontre sportive elle-même. La rencontre Usep, c’est bien : il y a du mouvement et un bénéfice de santé. Mais n’oublions pas non plus tous les bénéfices sociétaux liés à la valorisation de l’engagement associatif. Je ne suis pas militant de l’Usep, Régis non plus, mais nous savons ce que sous-tend cet engagement-là. Alors oui, cette préconisation de créer une association Usep dans chaque école peut sembler très ambitieuse et difficilement réalisable à court terme. Mais nous espérons qu’elle interpellera l’ensemble de la hiérarchie de l’Éducation nationale.
Propos recueillis par Philippe Brenot
Un constat, des propositions Cinq préconisations essentielles pour l'Usep