Yves Couraud, en trois ans vos effectifs sont passés de 1170 à 2000 licenciés enfants. Parallèlement, les rencontres en temps scolaire ont supplanté celles organisées hors temps scolaire : pourquoi ?
Parce peu de jeunes collègues souhaitent s’investir sur le hors temps scolaire. Il existait pourtant une solide tradition de rencontres le mercredi et sur le temps très prisé du samedi matin, quand celui-ci était encore travaillé. Les nouveaux rythmes scolaires sont passés par là… Mais la réforme n’explique pas tout. Dès 2010-2011, une vague de départs en retraite a fait un vide parmi nos militants. Or, et c’est là un constat sociologique, ce sont les collègues les plus anciens, les 53-58 ans, qui faisaient du hors temps scolaire. Les jeunes n’ont pas la même façon de voir les choses. Ceux qui depuis trois ou quatre ans reviennent dans nos AS sont moins politisés, au sens où ils ne conçoivent pas l’école comme un outil de changement social. Ce qui ne les empêche pas d’être sensibles aux notions de solidarité ou à la convivialité Usep.
Il y a dix ans, le comité a aussi revu son fonctionnement, en se réorganisant autour d’associations de secteur, et non plus d’école…
Ce fut une décision pragmatique. En 2006-2007, après deux années à temps plein, je me suis retrouvé délégué Usep à mi-temps, en classe à 50 %. Je n’avais plus la même disponibilité et j’ai dû rationaliser mon temps. En outre, les jeunes collègues qui souhaitaient faire de l’Usep dans une école où il n’y en avait pas franchissaient rarement le pas de créer une association loi 1901 : c’était trop lourd pour eux. Nous avons alors organisé le département en douze associations de secteur fédérant sur leur territoire les associations existantes. Un enseignant pouvait aussi adhérer directement avec sa classe à l’association de secteur. De surcroit, cela offrait à nos partenaires une photographie très claire du nombre de licenciés Usep sur un secteur : une « lisibilité » sur laquelle nous nous sommes appuyés pour solliciter des crédits de fonctionnement, en particulier auprès du Conseil départemental.
Ces secteurs possèdent une grande autonomie, notamment financière…
En début d’année, le comité départemental accorde à chaque secteur une somme intégrant les subventions de transports, charge à lui d’organiser ses dépenses. Ces AS sont gérées par un conseil d’administration. À titre d’exemple, celle du « grand Laonnois rural », un secteur réunissant 500 enfants et regroupant une vingtaine d’écoles, compte 40 administrateurs. Et ça fonctionne très bien.
Et pour les activités ?
Ces associations sont également autonomes dans le choix de leurs activités et leur calendrier de rencontres. Auparavant, de façon classique le comité proposait des rencontres départementales auxquelles les AS s’inscrivaient ou pas. Désormais, chaque secteur prend l’initiative de rencontres sur lesquelles les secteurs voisins peuvent aussi se greffer. Et quand une dynamique naît autour d’une activité, nous lui donnons une dimension départementale en organisant nous-même deux ou trois rencontres ouvertes à tous, souvent sur deux jours. Avec le recul, si ce système a été mis en place pour palier mon manque de disponibilité, il se révèle plus participatif, avec davantage d’engagement du terrain, ce dont on ne peut que se féliciter.
Qu’est-ce qui relie ces associations de secteur au comité Usep ?
Le plan départemental auquel elles adhèrent. Nous jouons un rôle de catalyseur et veillons à ce que cela reste de l’Usep, avec des pratiques fidèles à nos valeurs et un lien entre activités sportives et apprentissage de la citoyenneté. Quand je rencontre les AS de secteur, je les recentre sur les conceptions et les savoirs de l’Usep et je leur transmets les productions nationales. Une façon de leur rappeler qu’elles appartiennent à un grand réseau associatif.
À quoi cela sert-il encore d’avoir une association d’école si on peut tout simplement se rattacher à l’AS de secteur ?
Si certaines écoles ont tenu à conserver leur association, d’autres ont en effet choisi de se fondre dans l’association de secteur. Généralement, les grosses associations d’école sont devenues les AS de secteur. C’est le cas en Thiérache, pays de bocage, d’habitat dispersé et de petites écoles rurales : les AS de village se sont fondues dans celles des bourgs de 3000 habitants. Ces regroupements sont aussi une réponse à l’isolement des enseignants, et les gens retrouvent des pratiques qui s’étaient perdues : on mange ensemble, on se voit à travers l’Usep. Pour ces « instits » ruraux, c’est aussi une forme de lutte contre la solitude.
L’abandon du principe « « une école, une association » a-t-il fait débat au sein du comité ?
Bien sûr ! Les anciens y tenaient mordicus. Mais ils ont depuis changé d’avis car il s’est établi un fonctionnement collaboratif que nous n’avions pas avant. Et l’autre grande question a été : arrête-on l’implantation en ville pour favoriser le rural ?
Pourquoi avoir fait ce choix de privilégier le rural ?
Parce que, depuis une douzaine d’années, suivant l’exemple de Saint-Quentin, première agglomération de l’Aisne, les autres villes se sont dotées d’animateurs sportifs qui interviennent dans les écoles. Elles mettent à disposition les gymnases et transportent gratuitement les enfants en bus. Allez ensuite défendre les valeurs de l’Usep pour justifier les 5 € d’une licence… Nous avons donc redéployé tous nos moyens sur le rural, où l’Usep joue un vrai rôle.
Votre type d’organisation n’est pas sans évoquer les préconisations du rapport Deguilhem-Juanico, qui recommande la création d’une association Usep de secteur sur un bassin de population correspondant à celui d’un collège…
Avec le recul, nous sommes convaincus que l’Usep de l’Aisne n’est pas morte parce que nous avons adopté ce type de fonctionnement, alors même que dans les années 1970 le comité comptait 8000 licenciés ! Il y a aujourd’hui une vraie dynamique, un cercle vertueux, à l’image de l’association de secteur que de jeunes enseignants démarrent aujourd’hui sur le secteur d’Évergnicourt et Liesse-Notre-Dame, pour 7 ou 8 écoles rurales et 160 gamins. Les enseignants sont contents de se retrouver à une vingtaine pour décider de leurs activités sportives et citoyennes, et la mutualisation des moyens est optimale : quand un secteur met en place une rencontre, il n’hésite pas à passer un coup de fil à d’autres pour remplir un bus. Nous nous sommes également rapprochés des communes. Par exemple, ce sont elles qui transportent gratuitement d’une école à l’autre le lot de vélos et de trottinettes mis à disposition par notre comité. Les élus locaux réapprennent à connaître l’Usep et se réjouissent de voir des gamins bouger dans leur village. Et ça m’est d’autant plus cher que cela vient de la base.
Propos recueillis par Philippe Brenot