Pierre Tournemire, en quoi le combat en faveur de la laïcité se confond-il historiquement avec l’action de la Ligue de l’enseignement ?
Les débuts de la Ligue de l’enseignement, au milieu du XIXe siècle, coïncident avec l’émergence de la laïcité. Aussi sa propre histoire est-elle profondément liée à celle-ci. Mouvement républicain, la Ligue a joué un rôle essentiel dans l’instauration des lois scolaires de la IIIe République, et elle a ensuite poursuivi son action pour promouvoir, protéger et prolonger l’école laïque. Puis, au tournant du siècle, elle a participé aux grandes batailles anticléricales qui ont contribué aux lois de 1901 sur les associations et de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Au cours de ses presque 150 ans, la Ligue de l’enseignement a développé des « œuvres laïques » afin de permette au plus grand nombre l’accès à l’éducation, à la culture, aux sports et aux loisirs. Aujourd’hui, elle invite toujours les citoyens à s’associer pour la laïcité, à lutter contre les inégalités et les discriminations, à débattre et agir afin de construite une société plus juste, plus libre et plus solidaire, pour l’émancipation de tous.
La conception de la laïcité que défend la Ligue de l’enseignement a-t-elle évolué ? Quelle est-elle aujourd’hui ?
Dans un contexte où « bâtir du commun » est difficile, la Ligue est engagée concrètement à travers ses réflexions, ses propositions mais surtout ses actions, pour une laïcité qui soit à la fois un principe de droit et une valeur philosophique. En effet, la laïcité est tout d’abord un principe de droit qui organise le cadre juridique d’une société assurant la liberté de conscience et garantissant la liberté d’expression des convictions de chacun, dans le respect de l’ordre public et des autres personnes. Pour que la liberté individuelle soit compatible avec les libertés de tous, dans un cadre pacifié, les citoyens doivent être égaux en droit et le politique séparé du religieux afin que l’intérêt général soit garanti. Mais la laïcité est aussi une valeur philosophico-politique. Elle s’inscrit dans la tradition historique d’un mouvement social qui vise à l'émancipation de tous en invitant à « oser penser par soi-même ». Ceci afin de permettre à chacun de lutter, à l’aide de la raison, de l’esprit critique et de sa sensibilité, contre toutes les formes d’asservissement et d’aliénation, l'obscurantisme, les dogmatismes ou les préjugés.
C’est pourquoi la Ligue de l’enseignement se démarque des discours qui, aujourd’hui, instrumentalisent la laïcité dans le but de « normer » des comportements et de préserver une incertaine « identité française » ou une tradition républicaine fantasmée. Avant d’être l’exigence d’une manière d’être soumise à des valeurs morales déclarées indiscutables – et s’imposant à tous indépendamment du libre examen de chacun –, la laïcité est pour la Ligue de l’enseignement l’outil privilégié pour concilier les chemins de la liberté et de l’émancipation, dans le cadre de la justice sociale pour tous. Aussi la Ligue agit-elle pour que nul ne ressente la laïcité comme une pensée qui exclut et porte des interdits. Au contraire, il doit être clair pour chacun que la laïcité offre des espaces de rencontre, de dialogue, d'échange et de débat. Des espaces qui favorisent les connaissances mutuelles d’où découlent des règles librement consenties par l’ensemble des individus, car réfléchies et construites collectivement.
Les temps forts du colloque laïcité des 24 et 25 octobre 2015