Pr Martine Duclos, les travaux du chercheur australien Grant Tomkinson qui ont permis de pointer la diminution des capacités physiques des enfants et des adolescents portait sur les 9-16 ans. Mais dispose-t-on d’éléments permettant de compléter ce constat pour les plus jeunes ?
L’activité physique des enfants diminue dès le très jeune âge, entre 0 et 3 ans. Des études menées dans les pays d’Europe du Nord montrent en effet que les tout-petits sont beaucoup moins actifs qu’il y a quelques années, en raison notamment de ces couffins qui tendent à se généraliser : on y pose les enfants le matin et on les déplace sans les en extraire, dans la poussette, la voiture… Les tout-petits marchent de moins en moins à quatre pattes. Ils ne bougent plus !
Et ensuite ?
Ensuite, il est effarant de voir ces enfants de trois, quatre ou cinq ans que les parents trimballent encore en poussette, avec les pieds qui dépassent, tout simplement parce qu’ils n’ont pas envie de s’embêter ! Plus grands, on dépose les enfants et on vient les chercher à l’école en voiture, puis en rentrant ils se collent bien souvent devant un écran au lieu de jouer dehors. L’activité physique des enfants et des jeunes a considérablement diminué, et par conséquent leurs capacités cardiovasculaires aussi.
Quelles en sont les conséquences sur le plan de la santé ?
La VO2Max est le premier facteur prédictif de mortalité précoce, mais aussi de morbidité, c’est-à-dire le risque de développer une maladie chronique. La VO2 max mesure notre capacité à consommer de l’oxygène, et donc celle de notre organisme à l’utiliser pour le cœur, les poumons, le transfert de l’oxygène, la fonction musculaire… La santé métabolique et cardiovasculaire repose ainsi sur la capacité aérobie. Si elle est défaillante, cela ouvre la voie aux maladies cardio-métaboliques, au diabète, à l’artériosclérose, à certains cancers, etc. Si la capacité aérobie des enfants diminue de 25%, il y a donc de quoi s’inquiéter. Rappelons par ailleurs que les maladies chroniques non transmissibles représentent 90% des coûts de santé publique et 90% des causes de mortalité aujourd’hui. Comment a-t-on pu oublier que l’homme est programmé pour bouger ?
N’y a-t-il pas de prise de conscience ? De mesures volontaristes ?
Il y en a. Le problème, c’est que nous étions jusqu’à présent dans un système de santé curatif. La nouvelle loi de santé va vers un système de prévention, mais ce changement prendra du temps. Et si en France nous sommes très en avance sur la nutrition, aucun effort n’a encore réellement porté sur la promotion de l’activité physique pour tous et à tous les âges de la vie. Cela commence seulement.
Le slogan « Bien manger, bien bouger », porté par plusieurs campagnes de santé publique, est-il resté sans écho ?
Non : les gens ont compris le message. Mais il ne suffit pas d’informer. Se pose ensuite la question du « comment » : comment trouver le temps, la motivation, le lieu… On trouve toujours des excuses pour ne pas faire. Aussi, c’est tout un système à mettre en place : il faut commencer enfant et continuer adulte, chaque jour. Ce qui est plus facile quand c’est une habitude de vie qu’on a prise dès l’enfance.
Et le sport sur ordonnance ?
Cette loi traduit une nouvelle impulsion des politiques publiques. Mais elle concerne des malades déjà atteints de maladies chroniques : on arrive alors un peu tard… En revanche, à partir de 2018, dans le cadre de la réforme des études médicales, les futurs médecins seront formés à parler de l’activité physique. Mais cette formation devrait également être dispensée à l’école, auprès des enseignants et aussi des cadres de l’Éducation nationale ou de la haute administration : les élèves de l’Ena et tous les décideurs en matière de santé publique devraient suivre une telle formation dans leur cursus !
Concernant l’école, le rapport parlementaire qui s’alarme de la diminution des capacités physiques des enfants préconise le respect des horaires d’EPS et la création d’une association Usep dans chaque école. Qu’en pensez-vous ?
Ce ne sera pas suffisant. Il faudrait enseigner les effets de l’activité physique sur la santé dans le cadre des cours de SVT (sciences de la vie et de la terre), et qu’au collège le professeur d’EPS ne soit pas le seul investi de l’éducation à la santé par l’activité physique et sportive. Lutter contre la sédentarité, c’est aussi ne pas rester trop longtemps assis : dans les pays nordiques, les enfants se lèvent systématiquement toutes les heures. Une étude suisse menée dans l’enseignement primaire (et présentée mi-octobre lors du premier colloque de l’Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité) a d’ailleurs démontré que faire cours en permettant aux enfants de bouger permet d’obtenir une classe plus calme et un meilleur apprentissage.
Souhaiteriez-vous alors qu’une circulaire de l’Éducation nationale demande aux professeurs des écoles de faire se lever les enfants de leur chaise toutes les 45 mn pour effectuer des assouplissements ?
Déjà, se lever et marcher un peu, ce serait très bien. Il faut donner aux enfants l’habitude de bouger régulièrement, et leur expliquer pourquoi : c’est déjà une éducation, et c’est extrêmement important dans la lutte contre la sédentarité. C’est le début de la mobilité, qui facilite ensuite la pratique du sport à l’école, le fait de privilégier les modes de déplacement actifs, ou l’envie d’aller jouer dehors plutôt que passer des heures devant les écrans. J’ajouterai que d’innombrables études montrent que les enfants ayant une activité physique et sportive ont de meilleures performances académiques ou lors de tests intellectuels, indépendamment de tous les autres facteurs sociaux. Les capacités physiques sont corrélées aux performances intellectuelles. Si cette vérité peut aider à en convaincre certains…
Propos recueillis par Philippe Brenot