Michaël Attali, vous êtes commissaire scientifique (1) de l’exposition « Le sport : histoire(s) d’être(s) ensemble » proposée jusqu’au 21 mai au Musée national de l’éducation. Pourquoi cette exposition, et pourquoi ce titre ?
Cette exposition inaugurée en octobre 2016 fait partie des événements mis en place à l’occasion de l’Année du sport de l’école à l’université. Quant au titre, il traduit le souhait de mettre en évidence le sens et les missions donnés au sport, et notamment son rôle socialisant et sa contribution à l’éducation citoyenne. C’est pourquoi nous sommes partis du Front populaire, car c’est la première fois où le sport est saisi dans sa dimension éducative au plan politique et national, avec la volonté qu’il s’insère dans un projet de société.
L’exposition s’accompagne d’un ouvrage réunissant les contributions d’universitaires et intitulé « Les éducations par le sport ». Pourquoi un titre différent ?
J’ai pensé cet ouvrage comme complémentaire à l’exposition, avec cette idée assumée d’éducations plurielles. Car l’éducation par le sport ne se limite ni à l’EPS ni à l’école. On le voit notamment à travers l’intervention d’associations comme Sport et citoyenneté ou l’Agence pour l’éducation pour le sport, dont le sociologue Gilles Vieille-Marchiset évoque l’action dans un article sur l’éducation par le sport dans les quartiers. Nous souhaitions montrer qu’aujourd’hui l’éducation se joue aussi – voire peut-être davantage – en dehors de l’école qu’au sein de celle-ci.
Et les fédérations sportives ?
Pour évoquer leur contribution à l’éducation par le sport, nous avons porté un éclairage précis sur celle d’athlétisme. Mais nous aurions pu choisir une autre fédération, comme celle de handball parmi les sports collectifs. On perçoit avant tout ces fédérations dans leur dimension compétitive, à travers les grands championnats et les médailles qu’elles peuvent y remporter, alors qu’elles développent aussi des programmes éducatifs ambitieux. Et il convient aussi de citer les fédérations affinitaires, au premier rang desquelles l’Ufolep.
Pour en revenir à l’EPS, les deux films réalisés à partir d’images d’archive en montrent diverses facettes. À travers les situations pédagogiques présentées dans l’un d’eux, l’EPS apparaît d’abord très hygiéniste, puis centrée sur les activités et les compétences motrices à développer à travers celles-ci, et à présent tournée vers l’éducation à la santé et l’apprentissage de la citoyenneté. Qu’en pensez-vous ?
Pour ma part, je vois moins une succession de priorités que des missions qui se côtoient et se superposent. Dans le second montage vidéo, qui compile des témoignages des acteurs de l’éducation par le sport, il est saisissant de constater la similitude des propos et du vocabulaire employé à soixante ans de distance par Maurice Herzog, alors haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, et l’actuelle ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Le rôle du sport comme vecteur d’apprentissage des règles sociales, l’intériorisation de valeurs comme la persévérance dans l’effort, le respect, l’engagement personnel au service des autres : cela est constamment évoqué, au moins depuis les années 1930.
Et les préoccupations hygiéniques et de santé ?
Elles sont présentes, mais davantage sous forme d’opérationnalisation des missions éducatives du sport. Je m’explique : l’appréhension du sport dans l’éducation se fait d’abord, me semble-t-il, par l’intermédiaire de sa contribution à la formation citoyenne et à la socialisation. C’est le pôle majeur de l’utilisation éducative du sport, et c’est à partir de cette matrice que, selon les périodes, des éléments complémentaires sont ciblés, comme la santé.
Les missions qui lui sont assignées font aussi la spécificité de l’EPS par rapport aux autres matières d’enseignement…
Tout à fait. Les autres matières sont appréhendées par rapport aux savoirs à transmettre quand l’EPS l’est d’abord par la contribution sociale qu’elle peut développer. Cela peut être perçu comme un intérêt supplémentaire ; c’est aussi à mon sens une fragilité de cette discipline.
Quelle distinction établissez-vous toutefois entre l’EPS à l’école et au collège et lycée ?
Parce qu’il a longtemps été considéré comme pouvant mettre en péril l’intégrité physique et morale des enfants les plus jeunes, le sport a fait l’objet à l’école primaire de fortes réticences ou résistances, notamment de la part du corps enseignant, qui s’est refusé à assumer le sport dans toute sa dimension de performance et de recherche de l’excellence. Ces notions ont été davantage assimilées dans le secondaire que dans le primaire, très attaché au développement moteur et corporel de l’enfant. En gros, dans le secondaire les enseignants ont plus vite assumé le sport comme un but en tant que tel, tandis que dans le primaire il reste encore aujourd’hui davantage un moyen mis au service de fins qui le dépassent.
Cette distinction se trouve particulièrement interrogée aujourd’hui par le nouveau cycle 3, qui va du CM1 à la 6e...
Dans l’enseignement primaire le développement corporel prend en effet très largement le pas sur la construction d’une « culture sportive ». Certes le terme figure dans les programmes de 2015 pour l’école primaire, mais il est nettement en retrait. Il faut cependant saluer le souci de transversalité de ces textes concernant les deux dernières années du primaire et la première année du secondaire.
Est-ce un simple constat, ou aussi un jugement de votre part ?
Ces textes mettent le doigt sur les priorités. Personnellement, j’invite les enseignants à se montrer vigilants et attentifs au fait que, bien que l’on puisse avoir l’impression que la pratique sportive est désormais très largement diffusée dans toutes les catégories sociales, nombre d’études montent que c’est loin d’être le cas. Ne laissons pas se créer ou s’élargir une « fracture culturelle » qui ne pourra être réduite qu’en faisant du sport à l’école un véritable outil d’éducation.
Le sport scolaire fait l’objet d’un article dans l’ouvrage sur « Les éducations par le sport ». Mais celui-ci s’intéresse exclusivement à l’UNSS, sans faire mention de l’Usep, pourtant présente dans l’exposition, tant dans les objets présentés que les montages vidéo : était-ce voulu ?
C’est un choix de traitement, afin de mettre le focus sur l’Union nationale du sport scolaire en tant qu’institution. C’est aussi le constat que si l’UNSS a réussi sa percée dans l’enseignement scolaire, l’Usep reste inégalement présente d’une école à l’autre.
L’Usep est en effet présente dans 30% des écoles seulement. Mais cela s’explique par le fait qu’elle repose sur le bénévolat d’enseignants volontaires…
Bien sûr, mais en tant que chercheur je trouve regrettable que le taux de pénétration de l’Usep en primaire ne soit pas similaire à celui de l’UNSS dans le secondaire. On touche là aux limites du volontariat, alors que l’Usep aurait toute sa place et tout son rôle dans le développement d’une culture sportive en permettant aux élèves moins privilégiés, qui n’ont pas la chance d’avoir accès à une culture sportive diversifiée, à travers une palette d’activités qui bien souvent ne leur sont pas connues.
Vos propos font écho à l’une des préconisations du rapport parlementaire Deguilhem-Juanico, qui propose de créer une AS Usep dans chaque école…
En effet. Et pour avoir beaucoup travaillé sur l’histoire de l’Ossu, devenu l’Assu puis l’UNSS, il est clair que celle-ci ne s’est réellement développée que lorsque la création d’une AS est devenue obligatoire dans chaque établissement.
Pour finir, la question que pose implicitement l’objet de l’exposition est celle de la continuité éducative entre la pratique dans et autour de l’école – EPS, sport scolaire et activités sportives périscolaires – et la pratique en club. Mais cette continuité éducative n’est-elle pas un mythe ?
La réponse est dans la question… Je suis assez d’accord avec vous : cette continuité éducative affichée depuis des années se heurte dans la réalité à bien des difficultés car les différents acteurs sont souvent dans une logique de concurrence, ce qui ne favorise pas cet objectif de cohérence et de continuité. J’en veux pour preuve les activités périscolaires dans l’enseignement primaire.
Dans l’urgence, certaines communes ont proposé avec les moyens du bord des activités dont on peut interroger les effets éducatifs. Par exemple, proposer de la zumba à des élèves de 6 ans contribue à renforcer des stéréotypes que l’éducation ne devrait pas promouvoir… Si certaines collectivités territoriales se sont montrées ambitieuses, d’autres n’ont pas appréhendé ce temps périscolaire comme un moment d’éducation à part entière. Et cela me semble avoir été aussi le cas de bon nombre d’associations sportives, qui s’intéressent assez peu à ce qu’apprennent les enfants à l’école et se contentent de dupliquer l’apprentissage proposé en club. Il y a là un vrai défi pour établir des convergences entre les différents acteurs de l’éducation par le sport.
Espérons donc que l’intérêt porté sur le sport à l’occasion de la candidature de Paris pour l’organisation des Jeux olympiques de 2024 s’inscrive dans une logique de développement social durable, en intégrant les aspects éducatifs du sport.
Propos recueillis par Philippe Brenot
(1) Michaël Attali a partagé le commissariat de l'exposition avec Isabelle Arnoux, responsable du département documentation du Munaé, avec la collaboration de Kristell Gilbert (documentaliste), Roger Andrieux (chargé de numérisation), Pascal Boissière (photographe) et de l'ensemble des équipes du Munaé.