Véronique Moreira, avant toute chose, comment avez-vous connu l’Usep ?
Je n’ai pas connu l’Usep comme élève car j’habitais Drancy, en Seine-Saint-Denis, où elle n’était pas présente. En revanche, jeune enseignante, j’ai été nommée à Montfermeil, dans une circonscription où, en l’absence de conseiller pédagogique, l’Usep était chargée de dynamiser l’EPS et d’organiser des rencontres sportives. J’ai ainsi découvert un mouvement complémentaire de l’école me permettant de rencontrer d’autres enseignants et de porter des projets communs autour des pratiques sportives. J’ai trouvé un réseau sur lequel m’appuyer. Nous nous retrouvions même le midi pour pratiquer des activités sportives entre adultes usépiens : un moment convivial et très fédérateur.
Formatrice nationale depuis 2000, vous avez été adjointe à la direction nationale de 2004 à 2008, avant d’être nommée inspectrice de l’Éducation nationale (1). Parallèlement à ces fonctions, vous êtes élue depuis 2012 au comité directeur de l’Usep (2). En quoi ce parcours a-t-il façonné votre vision de l’Usep ?
Mon expérience professionnelle et mon parcours à l’Usep se sont toujours mutuellement enrichis. Et en ce qui concerne ma vision de la fédération, en tant qu’inspectrice de l’Éducation nationale j’ai pu vivre la Refondation de l’école de l’intérieur, et ressentir à quel point les enseignants du premier degré avaient été bousculés par cette réforme et par les nouveaux rythmes scolaires. J’ai pris conscience des obstacles avérés qui les empêchent de s’investir dans les temps d’activités périscolaires. J’ai également observé comment les communes, jusqu’alors cantonnées aux aspects matériels, sont devenues organisatrices de ces temps périscolaires, ce qui là encore a parfois été difficilement accepté par les enseignants, qui ont eu le sentiment que l’on empiétait sur leurs prérogatives.
En tant qu’IEN, j’ai également pris conscience du besoin de formation en EPS exprimé par les enseignants. Or l’Usep peut leur apporter ce que l’Éducation nationale ne leur propose pas forcément durant leur formation initiale ou continue.
Vous avez insisté, comme candidate puis comme présidente tout juste élue, sur la nécessité d’une « gouvernance rénovée ». C’est un engagement d’autant plus fort que votre prédécesseur a laissé en douze ans une forte empreinte, et même créé la fonction puisque Jean-Michel Sautreau fut, en 2004, le premier à ne pas partager son mandat avec la présidence conjointe de l’Ufolep…
Quand un fonctionnement est durablement établi, le risque est de se couper de la base. Il faut alors créer les conditions pour réintroduire de la proximité et renouer le contact avec tous les échelons de la fédération : associations, comités départementaux et régionaux... On a reproché au « national » de fonctionner trop isolément. Cette mandature est l’occasion de relancer une démarche participative, avec une meilleure articulation des différents échelons et une meilleure diffusion de nos outils et ressources pédagogiques. Je souhaite aussi que l’équipe des permanents nationaux puisse mettre en œuvre les décisions du comité directeur dans un climat de confiance.
Vous voulez également faire évoluer ce qui structure l’action de l’Usep : la rencontre sportive. Avec un nouveau concept, celui de rencontre « sportive-associative »…
Si la rencontre sportive est l’essence même de l’Usep, sa marque de fabrique est d’associer à cette rencontre une vie associative qui permet aux enfants d’être pleinement acteurs de celle-ci : s’associer pour monter un projet, prendre des responsabilités, appréhender le sens du collectif… Cette dimension associative permet d’éprouver concrètement les principes de citoyenneté et du vivre ensemble. Mettre en avant une rencontre « sportive-associative », c’est donc afficher la volonté de ne pas dissocier l’un de l’autre. La préparation de la rencontre sportive est un temps associatif qui crée les conditions d’une mise en œuvre de principes qui rejoignent les valeurs de la République.
J’ajouterai que l’Usep ne peut se réduire à un espace où l’on se contenterait de proposer de la pratique sportive. Notre vocation est de contribuer à faire de l’enfant un « citoyen sportif ». Cela suppose son implication pleine et entière dans un projet sportif, de son point d’origine à son aboutissement, avec l’accompagnement et l’encadrement d’adultes engagés et bienveillants. C’est bien en quoi nous ne sommes pas un simple prestataire de services, organisateur de rencontres.
Mais promouvoir ce concept ne revient-il pas à reconnaître que l’Usep se réclamait souvent d’une vie associative qui n’existait que dans quelques associations modèles, très dynamiques mais peu représentatives ?
Ce constat est juste : il existe un décalage entre l’idéal d’une vie associative riche et partagée au sein de toutes nos associations et la réalité du terrain. Or imbriquer vie associative et rencontre sportive évite d’ajouter un « étage supplémentaire » à l’engagement des enseignants auprès de l’Usep. L’idée est d’envisager dès le départ la rencontre selon ce principe d’impliquer les enfants dans sa préparation, puis dans son déroulement. C’est aussi un état d’esprit.
Le nouveau comité directeur de l’Usep va devoir inscrire son action dans un contexte délicat : fort repli des rencontres hors temps scolaire, baisse du nombre de licenciés enfants et des animateurs adultes, fragilisation de certains comités…
Tout d’abord, sur le fond, même si en raison des nouveaux rythmes beaucoup de nos rencontres migrent du hors temps scolaire vers le temps scolaire, l’Usep doit prendre toute sa place de mouvement complémentaire de l’école. Elle doit montrer qu’elle apporte une plus-value à la pratique professionnelle des enseignants, et une plus-value éducative aux enfants. Ce qui n’empêche pas de travailler conjointement à une meilleure implication sur les temps périscolaires.
Ensuite, sur la forme, dans le contexte financier actuel, nous devons renforcer et élargir nos partenariats. Pour cela, il faut aussi former les délégués et les élus départementaux et régionaux à une démarche qui ne fait pas forcément partie de la culture enseignante.
À quels partenariats pensez-vous ?
Il ne s’agit pas de se lancer dans une recherche effrénée de partenaires, dans une logique économique pure, mais d’en solliciter sur des actions spécifiques : la MGEN ou la Fédération française de cardiologie, par exemple, en appui d’une action qui prônerait l’activité physique des enfants – dans un contexte de lutte contre la sédentarité. Ou d’autres partenaires institutionnels, concernés par l’idée de porter secours, en lien avec l’enseignement moral et civique. Des partenariats fondés, qui font sens. L’idée est de partir du projet et non d’aller « à la pêche » de partenaires qui apporteraient une enveloppe globale en échange du droit d’apposer leur logo. Que ce partenaire s’y retrouve, oui, mais sans rien céder sur l’éthique.
À Arras, vous avez rappelé que l’action de l’Usep s’inscrivait dans le projet « humaniste et laïque » de la Ligue de l’enseignement. Vous l’avez réaffirmé fin avril à l’AG de l’Ufolep, en ouvrant la porte à des collaborations. Lesquelles ?
L’Ufolep est le secteur sportif de la Ligue de l’enseignement, et on peut la considérer comme le prolongement naturel de l’Usep. Il y a forcément des articulations possibles. Par exemple, la pratique cycliste y est très développée, et on peut imaginer une passerelle avec l’Usep à l’occasion du P’tit Tour à vélo. L’Ufolep possède également un agrément national en matière de formation aux premiers secours, et des synergies sont probablement possibles. Cela est aussi vrai avec la Ligue de l’enseignement, que ce soit en matière de communication, de formation des militants ou dans le domaine éducatif, comme pour l’éducation au développement durable. Pour autant, comme pour les partenariats « externes », je souhaite que cela parte du projet. Je ne crois pas aux collaborations décrétées : ça ne fonctionne pas.
Il y a quelques semaines, Najat Vallaud-Belkacem repoussait l’idée, suggérée par un député, d’une décharge des professeurs des écoles pour animer des activités périscolaires. De quelle autre manière le ministère de l’Éducation nationale peut-il appuyer l’action de l’Usep ?
Il faut préserver le principe du volontariat bénévole. Je ne crois pas que dispenser des forfaits ou des heures obligatoires aux professeurs des écoles renforcerait la pratique physique et sportive dans le premier degré. Car ce volontariat garantit justement un réel engagement dans l’offre d’une activité sportive pour les enfants. En revanche, si l’on reste sur le principe d’enseignants volontaires, le ministère doit soutenir ce militantisme auprès de l’Usep en favorisant les décharges de service pour suivre des formations et s’investir dans un mandat électif. S’il considère, bien sûr, que le sport scolaire Usep rejoint les objectifs éducatifs qui sont les siens, notamment en matière d’éducation à la santé et à la citoyenneté.
Propos recueillis par Philippe Brenot
(1) Cadres supérieurs de l’Éducation nationale, les IEN « veillent à la mise en œuvre de la politique éducative dans les classes et les écoles » et, dans le premier degré, « ont la responsabilité d'une circonscription sous l’autorité du directeur académique des services de l’éducation nationale (DA-SEN) ». Afin que Véronique puisse se consacrer à plein temps à ses nouvelles responsabilités de présidente de l’Usep, il a été demandé et accordé que celle-ci puisse être détachée auprès de la Ligue de l’enseignement, pour une période d’un an renouvelable.
(2) Véronique Moreira était plus précisément vice-présidente chargée de la formation.